Extraits littéraires,  Lionel Degouy

Puisqu’au final on aime ou pas les femmes. Par Lionel Degouy.

Lorsque vers l’âge de trente ans, vingt ans, beaucoup plus tôt, peut-être, pour les élus, se posent la question réelle du suicide, ou plus exactement du choix entre la vie, la mort, nous ne pouvons plus nous défaire de l’idée que la mort est bien tranquille parfois : il est déjà trop tard, nous ne sommes plus à même de décider de tout, de rien. Je vis déjà dans cette hypocrisie. Celle de celui qui en réalité croit en l’enfer.

J’ai aimé. Beaucoup. Souvent. Toujours. Mais je ne saurai jamais vraiment comment font les filles pour travailler nos corps et nos âmes avec une telle puissance. Isabel. Voilà toujours comme un prénom. C’est comme une grande joie et comme un grand espoir. Ça ne sommeille pas. Ça prend au bide et ça flingue en douceur, dans le bonheur, enfin. Une autre fois, enfin. Voilà. Suis-je arrivé ? Non pas. J’avance sans assurance vers un lointain tout proche, l’envie. Et si j’en crève, c’est par désir. Désir d’amour total, absolu, sans limites.

Qu’en est-il du passé, qu’en est-il du présent ? Je l’appréhende avec difficulté. Nous avons parlé pourtant. Longtemps. Et nous nous sommes aimés avec une étonnante lucidité : un corps-à-corps que l’esprit seul peut dominer. Que seul il fait vivre. Des effleurements, des images et des idées bien claires quant à la distance désirée par nous deux.

L’éternité retourne à son éternité. En comptant que le pleur suffit à bien des gens, ce véritable opium du peuple. Quant à faire apparaître l’essentiel, du moins. Aussi faut-il se laisser bercer par l’idée que pleurer s’avère ici la seule des solutions palpables et réalistes. Pourtant, ce qu’il faut nécessairement, c’est faire s’émouvoir le monde des femmes et leurs corps. Tout cela sans l’inutile douleur des âmes. Oui, nous avons bien dû parler, Isabel et moi. D’enfance, d’adolescence, naturellement.

Pour Isabel, c’est cette adolescence qui avait été sa naissance.

Sortie d’une enfance à l’apparence lisse, elle s’en trouvait étonnement pleine de bleus.

Des peurs indicibles, car relativement incompréhensibles, des angoisses même, une indifférenciation de son être et qui fait que même dans les belles images qui lui restent elle garde l’impression de ne pas y avoir existé.

Et pour finir de ce sentiment étrange de devenir adulte : je parle en autre chose de cette incommensurable envie que nous avons toujours eue, tous, de devenir un jour, une heure, les femmes qui firent de nous des hommes. Car c’est une histoire d’hommes. Et cela, c’est un malheur notoire : puisqu’au final, on aime ou pas les femmes. Rien d’autre n’est utile de l’ensemble des savoirs.

Lionel Degouy est né en 1969 à Neuilly. Après des études de théologie à la Faculté protestante de Paris, divers engagements syndicaux et religieux, et des expériences monastiques en divers lieux, il s'installe à Montpellier. Sa vie est rythmée entre le retrait dans la lecture et la méditation, et l’activité d’écriture pour des publications diverses.

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