Éloge de la nuit : écrit chrétien pour la survivance du gris-bleuté. Par Lionel Degouy.
Les nuits du Christ sont aussi les nôtres. Elles nous ont été offertes par lui. Chaque fois que nous le souhaitons, nous sommes certains de trouver en ces nuits l’abandon et l’étonnant réconfort de la perte et des larmes. Et nous savons tout le besoin que nous avons de ces nuits, de cet abandon, de cette perte, de ces larmes. Depuis un an bientôt, l’ombre a le goût particulier de l’attente qui se lie à l’espoir. L’ombre à la couleur gris-bleuté de la lumière qui n’est pas encore, ou qui n’est plus tout à fait. L’ombre : nous avons tout perdu et tout pourtant nous est encore offert. Voilà ce que nous dit cette ombre : elle nous dit qu’en ces moments de désarroi où tout s’échappe, où tout s’enfuit, où l’on ne sait plus trop si c’est cela la fin de l’histoire, l’ombre nous dit que l’histoire n’est pas achevée. Car l’histoire ne s’achève que là où l’on veut qu’elle s’achève. Rien, pourtant, ne s’achève. Jamais. Il suffit d’y croire pour le constater. La science est, pour le coup, fort loin. C’est heureux, car elle fatigue bien du monde avec son lot de certitudes.
Pour en revenir à l’essentiel, ces faiblesses que le Christ nous désigne au point de les porter lui-même, au point d’en faire ses propres faiblesses, sont les faiblesses non avouées des hommes. Ces hommes qui croient tout dominer n’ont pourtant de salut que par la saine conscience de ces faiblesses qui lui sont imposées par ce monde, et seulement proposées par le Christ. Oui, tandis que le monde impose la nuit, le Christ, lui, la propose. Et finit ainsi par revenir l’attente sereine d’une toute petite lueur. Simplement.
Il ne faut pourtant pas ôter de la douceur de l’ombre, la douleur du Christ en croix – puisque c’est bientôt Pâques. La douleur. La douleur crue, brutale. Ici les contours sont moins flous : plus de gris-bleuté, d’ombre ou de nécessaire repos. Rien d’autre que le noir. Et c’est ce noir que pour nous, le Christ porte. Mais c’est aussi cela, qu’en ce moment précis, il porte sous les bombes. Et pour d’autres que nous. Pour de plus fragiles, pour de plus faibles. Pour, hélas, aussi, de plus petits que nous. De tout petits. Des enfants. Il porte l’innocence abandonnée à la fragmentation d’obus fabriqués par les grands. La nuit lui pèse, il semble même parti en nous abandonnant. Comme nous avons abandonné.
Pourtant, bien présent, toujours présent, nous laissant l’ombre, seul chose pour nous supportable, le Christ porte à lui seul le sombre, aux limites assurément tranchées du noir. Et cela en sacrifice. Pour que tous, nous saisissions l’évidente nécessité de la croix. Laissons-nous donc porter, et par la probable tristesse des apôtres qui laissaient encore un peu de place à l’espoir de le revoir, laissons à la seule foi le soin de nous guider. Car c’est une bien lourde nuit qui nous attend. Une bien lourde nuit, si nous n’y prenons garde. Laissons l’amour emplir cette nuit de prières légères. Assurés que nous sommes de voir, au-delà de nos désespoirs et nos peurs virales, le jour se lever de nouveau. Dès demain peut-être. Puisque le soleil brille de son déclin, nous laissant chaque jour la nuit, chaque nuit le jour à venir.
Pleins que nous sommes d’une certaine espérance.