L’oppression. Par Lionel Degouy.
Deux mondes s’affrontent, et c’est terrible. L’oppression devient la règle. Personne ne semble l’imaginer ainsi, mais c’est l’amour contre la haine et l’autre n’est plus rien. On peut y glisser des évidences débiles, des jugements quasiment pathologiques de mépris du différent, rien n’y fait : on est haïs. Et on haït tant l’amour parfois que rien n’est plus tenable, rien n’est plus, nulle part, autre chose que ce désarroi totalement affligeant : il faut la guerre. Et pourtant si j’ai peur, ce n’est que très rarement pour moi, mais bien pour ces gamins, ces jeunes que l’on laisse là, sur le bord du chemin. Des gamins qui ne prendront jamais la route. La route des autres et de l’amour. C’est mortifère en soit et nulle part l’espoir ne nous dit où il est. Inutile également de chercher bien en nous, là, cette fameuse capacité que nous aurions à nous sauver nous-même. Ce serait une erreur, puisqu’il en est risible d’avoir à rappeler qu’il faut être au moins deux pour faire un monde. Il faut la constater, sans doute, cette évidence que l’on rappelle. Et en analyser certaines causes pour simplement survivre.
Je rentre à Montpellier certain de n’en être parti que pour me perdre un peu. Mais rien de nécessaire en cela. Rien d’inutile non plus vraiment, à part cette infernale piqûre de rappel : on crève un peu chaque jour, sans rien faire, de la connerie des gens qui ont créés l’histoire de l’enfance de malheur qui nous porte parfois. L’enfance. Cette enfance. Nos enfances. Les nôtres et pas les autres. On y voit tout. On y voit comment on vit, comment on meurt. Comment on aime, aussi. Fort heureusement. Fort heureusement on aime, on s’aime, on est aimé. Il n’y a bien que l’ignorance pour s’en moquer.
De petite révolution en petite révolution, l’homme avance en tâtonnant. Souvent ce sont les mots – ses amis – qui lui permettent, en prolongement de la gestuelle et des limites qu’elle a, d’élaborer une relation plus complexe que la guerre. Par exemple, la paix. Mais bizarrement la vraie complexité n’est pas de ce monde. On pourra toujours penser, et l’on aura souvent raison, que la paix parait plus simple à l’homme s’il n’est pas de mauvaise foi. Hélas, c’est dans les gestes brusques que se déroule la vie bien étriquée de l’homme. Et c’est pourquoi il nous faut dire froidement la méchanceté comme devenir de ce même homme s’il n’est pas maintenue par des mots, des gestes doux qui l’apaisent et lui font voir un horizon tel que cette paix tant attendue de tous. En ces temps de guerre furieuse et désormais universelle, il est bon de dire toute la violence de l’homme, alors même qu’il aspire, souvent sans le savoir, au calme nécessaire à la paix des peuples et des individus. Qu’est-ce donc que cette haine ? L’ennuie sans doute, bien entendu. Mais autres chose encore le guide vers la guerre, et je dois dire que je n’en vois pas la cause profonde. Pleurer m’aide à comprendre parfois que ce besoin de paix ne peut être perçue que par certains et à certains moments précis. Car beaucoup ne pleurent pas. Jamais. C’est plus que regrettable. Et plusieurs le déplorent autant que moi. Mais faut-il faire de la douleur et du désespoir profond les fondements de cette paix, puisque beaucoup ne pleurent comme des enfants que lorsque cette douleur se trouve bien face à eux, au sein même de leur chair. Les révolutions sont souvent faites de ces douleurs ; faut-il vouloir la guerre pour espérer la paix ? Pourtant, j’ai bien le sentiment de ne savoir qu’aimer. C’est là – tant la douleur est grande, parfois – la maladie la plus coriace qui soit ; comme une espèce de langueur presque fade si l’on y prend garde, et qui s’appelle le désespoir total. Il est fort rare – et toujours aussi loin du suicide dans ses arguments – mais si réel.
Bien réel.