On va s’aimer. Par Lionel Degouy.
On va s’aimer. C’est sûr. Et pour toujours. Un jour. Un jour de grand soleil, un jour de pluie. Un jour de guerre, un jour de paix. Un jour de haine. Un jour de peine, un jour de joie. Pour que nous soyons bien convaincus de l’infernale beauté du monde qui nous est offert. Mais aussi du monde qui vient. Celui qui sans détours vaincra. Ne serait-ce que pour l’amour du beau. Un jour. Un jour, et pour toujours, on va s’aimer : qu’il est facile de simplement bien formuler la vérité ! Cette absolue vérité : l’amour comme chemin, l’amour comme fin. C’est bien ici la seule échappatoire, vraiment plausible, à ce monde terriblement infanticide. Car l’amour est là. Chacun peut en faire chaque jour le tour : chaque jour un arc-en-ciel fait vivre une âme de par le monde. C’est l’insondable liberté de voir. De voir l’amour, ici pour nous sauver. De tout, de rien, de nous, des autres. Des guerres apparemment inéluctables, de l’inutile violence, de l’ignorance notoire.
Dans cette optique, la fulgurance du don des autres permet de nous aimer, à en mourir, plus que nous nous haïssons. Oui, il y aura toujours l’amour des autres – cet amour-là – qui au-delà des certitudes que nous croyons avoir en disant qu’il n’existe pas, transformera nos peurs en larmes salvatrices, nos larmes salvatrices en envie de vivre. Tout ainsi vient des larmes. Ces larmes chaudes, et même brûlantes, dont nous ne pouvons nier le pouvoir de dire non à l’imbécillité. Notamment à l’imbécillité de ceux qui voudraient nous faire croire que l’Homme ne se construit que dans la guerre, la volonté – cette détestable volonté – ou bien encore dans le mérite ou la vertu. Mais nous sommes peu, bienheureusement, à nous échiner à devenir vertueux. Trop vertueux. C’est notre gloire, notre avenir, notre plus grand espoir. Pleurons donc en paix. Oui, pleurons en paix pour le salut du monde, pour le rire d’un enfant, pour ces jeunes amoureux qui passent dans notre rue. Pleurons pour la tranquillité de ceux qui savent que c’est seulement un abandon aux larmes, vraies et profondes, qui peut éternellement donner l’envie de vivre avec ce qui nous écrase tous, trop : la haine.
Alors il faut aimer bien au-delà de nos capacités à accepter l’inacceptable : prier pour nos ennemis. Aimer, somme toute, nos ennemis : se libérer du poids des haines amères, des traces parfois indélébiles de la rancœur. Aimer ceux qui nous persécutent et persécutent l’innocence même. Aimer de toutes nos forces en ne sacrifiant pas à l’immonde probabilité nos rêves les plus fous, les plus insensés – prisonniers que nous sommes d’une illusoire victoire sur nous-mêmes, d’un manque criant de simple modestie. Aimer pour avancer, pour assurer à tous, sans le moindre doute, la présence d’un soleil chaque matin renaissant.
C’est cette certitude seule qui pourra nous porter hors de nous-même, au-delà de nous-même. Dans le futur tout comme dans le présent. Le futur : de sombres perspectives en vérité, si nous n’y prenons garde ! Le présent : des dirigeants inaptes à regarder l’horizon, mais le bout de leurs chaussures. Des dirigeants inaptes aux rêves des autres, inaptes à nos rêves, inaptes même aux leurs. Inaptes à la salvatrice utopie, rendus malades qu’ils sont par ce sale mot de pragmatisme. Le pragmatisme : surtout ne rien brûler. Et surtout pas nos cœurs aux flammes de l’amour du prochain. Quand rêverons-nous d’amour si ce n’est en ces temps de décomposition folle de l’Être ? Quand donc imaginera-t-on un autre monde possible pour chacun ? Quand rêverons-nous enfin d’un monde meilleur, loin des calculs, de la bassesse de vue et de l’improbité intellectuelle ?
On va s’aimer. C’est sûr. Et pour toujours. Un jour.
Un jour de grand soleil, un jour de pluie.