Frénésies. De Stéphanie Vovor.
C’est à travers un récit poétique, social et politique que Stéphanie Vovor nous dépeint la jeunesse des classes moyennes et des périphéries. Celle qui face aux désillusions espère obtenir un CDI, celle qui s’évade en regardant Les Marseillais, celle accro aux nouveaux diktats de la chirurgie esthétique, celle qui espère être entendue.
« Je suis si lourde que je m’enfonce dans le décor, je suis le bureau, les chaises en vis-à-vis, la moquette bleu crade, le plafond carrelé, la bouche d’aération, je suis mon vernis qui s’écaille, le rendez-vous de 15 h arrivé en avance, les consignes du N+2 dont tout le monde se cogne, je suis l’évaluation barbante et éculée du consultant à peine sorti d’une école de commerce, je suis le fou rire nerveux avec le collègue, le taboulé fadasse de la cantine, le savon liquide et filandreux dans les WC de l’aile nord, je suis les perspectives jamais abandonnées, la science des fractures dans ce petit monde frelaté, le sang de mes blessures qui pourrait bien t’éclabousser je suis la somme de toutes nos bizarreries. »
Bien au-delà des mots et de la limite que l’on voudrait leur donner, la poétesse Stéphanie Vovor donne corps à la génération Z. La génération d’internet, de la téléréalité, celle qui croule sous l’information, la précarité et les rêves avortés. Prenant appui sur Jennifer, une jeune standardiste d’une vingtaine d’années, elle donne la parole à ses sœurs : « Les filles dont le trait d’eye-liner est mieux tracé que l’avenir, celles qui sont déjà ratées avant d’avoir mis un pied en grande section de maternelle ».
Avec des mots si percutants, on ne s’échappe pas de la réalité. C’est très justement cette réalité que Stéphanie Vovor parvient à nous montrer, la réalité de notre époque : « On écrit avec ses entrailles pas avec un stylo. »
Je ne saurais conclure par autre chose que ces mots tombés directement du cœur de Stéphanie Vovor. Il faut les lire, ces mots-là, pour en cerner la force immense. La force immenses des lignes de la poétesse :
« Mais j’étais venue, et c’était l’heure.
Ce jour-là, comme c’était convenu à l’avance,
on allait jouer à baiser.
Prétextant une chaleur trop forte et en réalité inexis-
tante, toujours sans le regarder,
j’ai dénoué mon écharpe et retiré mon pull
tandis qu’à l’horizon, les nuages dégorgeaient d’eau
sale. »
Stéphanie Vovor, Frénésies, Castor astral, 136 pp., 9,90 €.