Violences collatérales. Par Lionel Degouy.
J’ai dans la tête un morceau de Schubert : « la jeune fille et la mort ». Et je repense à ces moments passés à espérer autre chose que la misère pour mes semblables et moi-même. Et pour toutes ces jeunes filles en fleur que j’ai connues, croisées, aimées. Parfois dans le malheur. Mais malgré les risques de chagrins inéluctables, parfois l’espace d’un jour, parfois l’espace d’une seconde, j’abandonnais tous mes rêves de grandeur pour l’insouciance d’une journée passée sous le soleil immense de la langueur. Depuis, ma faiblesse a fait que je n’y ai pas changé grand-chose, et que je reste inapte au bonheur. Je ne puis donc rien regretter – tout autant de mes égarements que de mes échecs. Mais ceux des autres, leurs malheurs et leurs douleurs, puis-je les ignorer ? Non.
Alors il me vient cette idée de me battre. Me battre contre l’ignominie, contre tout ce nazisme ambiant, tout ces tocards qui nous gouvernent et nous commandent. Ces tocards qui nous commandent : chacun peut en faire chaque jour le tour. Mais constamment ? Est-ce réellement tenable de se laisser mourir pour la paix du bourgeois bienveillant ? Faut-il appeler au crime ? Faut que celui qui reste notre prochain, malgré le fait qu’on l’exècre, meure de notre envie de faire justice pour les innocents dans l’incapacité de se défendre ? Ou bien faut-il se tuer soi-même ? C’est ici, toujours, notre extrémisme qui empêche notre folie. Puisque ce que j’écris là je ne puis décemment l’écrire sans me justifier, sans que la violence des mots ne me soit encore reprochée, sans que l’on me condamne pour homicide envers moi-même. Ou pour incitation au suicide collectif. Aucun jour pourtant ne se fait sans ce que j’appel la belle démonstration de l’homme en blanc, mon curé de campagne favoris : « tu te dois, gamin, de mourir à toi-même, mais non point vouloir que l’on te tue par désespoir ou par folie d’aimer ! ». La belle démonstration que déjà l’on opposait à Goethe dans ces « souffrances du jeune Werther ». Comme à chaque époque, en 1774, il ne faisait pas bon vouloir mourir, ne serait-ce que d’amour. Ou simplement, à force de misère visible, vouloir sauver celui qui reste encore un temps.
Ce soir j’ai réuni tout mes restes d’espoir : ils sont proches du néant. J’aurais décidément tout vu : je marchais tranquillement sur le port de Marseille lorsque j’ai soudain réalisé que la connerie me suivait partout. Au point qu’il m’était impossible de croire qu’elle pu émaner d’autre part que de moi-même. Stupeur ! Je suis un bel imbécile, complet, bien reluisant. Il n’est d’autre possibilité.
Mais faisons tout de même le tour des choses : il se trouve désormais sur le marché des chats génétiquement modifiés qui ne provoquent pas d’allergies et qui pour cela sont vendus trois milles cinq cents euros. L’Amérique continue de faire rêver. Nous votons presque tous Macron qui vend Alsthom aux américains et à l’Allemagne. Il vend aussi des armes, nous vendons des armes pour tuer les enfants yemenites. On a vendu des bombes au Pakistan, aussi. L’Afrique s’anéantie chaque jours un peu plus sous le poids de l’impérialisme – qu’il soit pour nous ou pour les russes, il tue les africains. On parade presque à coller des bombes en Pologne contre Poutine, sans se soucier des peuples. La paix du monde ne sera jamais réalisable. On nous soutient que nous avons bien raison de ne plus laisser traîner les trisomiques dans la rue. On se moque de l’antarctique et de sa fonte inéluctable. Des femmes meurent encore, ici comme ailleurs, de violences conjugales. On massacre les tigres. Il n’y a plus de moutarde à Dijon. J’ai faim. On m’emmerde.
Nous n’irons plus au bois : les lauriers sont coupés.
On nous prend pour des cons.
On nous prend pour des cons.